Rencontre du 11 mars 2016.
Résumé :
Comprendre
ce qu’est manger le veau, pour
l’historien, c’est analyser à travers de nombreuses sources - traités d’agronomie,
de médecine et de diététique, livres de cuisine, écrits des gastronomes,
collections de menus…- comment s’articulent les regards que portent sur le veau
l’éleveur, le boucher, le cuisinier, le gastronome. Mais il faut d’abord
essayer de définir ce qu’est un veau, entre veau de boucherie, veau de lait,
veau blanc, trois concepts qui ne se recouvrent pas totalement. Le veau renvoie
à une question de couleur, un gradient du blanc au rouge, mais c’est la quête
d’un veau blanc qui habite toutes les sources consultées. Aux origines, des
pratiques d’élevage par l’aristocratie italienne de la Renaissance d’un veau
uniquement nourri au lait, pratiques que les Français découvrent pendant les
guerres d’Italie, au début du XVIe siècle, et qui se diffusent en Europe
pendant les siècles qui suivent. Ainsi se mettent en place des modes d’élevage
et d’alimentation du veau pour obtenir une viande blanche, viande de prestige,
pour satisfaire les tables des élites sociales. L’analyse des raisons du
prestige du veau pointe sa tendreté et son goût délicat, sa grande plasticité
culinaire, le grand intérêt de ses abats. Mais ce prestige se fonde aussi sur
des raisons plus culturelles, sa position élevée dans la grande chaine de l’être, son inscription dans la quête du blanc qui
habite les élites sociales, ses vertus diététiques et médicales.
Les
sources montrent comment les regards du boucher et du cuisinier s’imbriquent
dans le choix de l’animal, de son origine et de son mode d’élevage, de sa
couleur et de sa tendreté, de son degré d’engraissement et de sa maturation.
Affiner la découpe, reconnaître les différences de texture et de saveur des
différents morceaux débouchent sur de très nombreuses recettes qui distinguent
nettement le veau du bœuf et montrent l’important investissement, tout au long
des siècles, des cuisiniers dans ce produit La considération égale que les
cuisiniers portent, dans les recueils de recettes, aux abats et aux muscles
permet aussi de dessiner clairement un statut culinaire du veau. L’analyse des
menus montre comment fonctionne la
catégorie des viandes blanches et les rapports qu’entretient le veau avec la
volaille, le gibier, le mouton, le porc dans la conception d’un repas. Les écrits
des premiers gastronomes, au début du XIXe siècle, illustrent la recherche d’un
veau blanc de bonne origine, le prestige de la tête de veau et la place de ses
abats comme de ses muscles à la table des élites gourmandes. L’étude des
sources sur près de quatre siècles permet aussi de noter des évolutions :
la concurrence croissante de l’agneau, la lente régression des abats, et même
la disparition de certains d’entre eux, à partir du dernier tiers du XIXe
siècle…
L’évocation
d’une découpe et de plats mythiques permet d’entrevoir l’imaginaire culinaire
du veau qui habite la culture française jusqu’à aujourd’hui : la longe de
veau, autrement dite morceau du rognon,
découpe prestigieuse que l’on ne pratique plus de nos jours ; la
blanquette qui, de plat aristocratique puis petit-bourgeois, est devenue très
populaire ; la tête de veau, servie encore parfois entière sur la table
mais, plus socialement correcte, désossée et roulée et qui, de dormant des
tables aristocratiques, est devenue un plat de brasserie toujours fêté. Si le prestige du veau des siècles précédents
s’est estompé, si sa consommation décroit, sa cuisine est toujours bien vivante
si l’on en croit les sources actuelles des pratiques culinaires des Français.
Certes la place des abats a considérablement régressé, mais les recettes
traditionnelles sont encore bien vivantes et la pratique s’enrichit de nombreux
plats et ingrédients venant d’autres cultures culinaires et contribuant à
façonner une nouvelle tradition.
Pour en savoir plus :
Georges
Carantino, Manger le veau, un regard
d’historien, Ethnozootechnie, n° 94, 2014.
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