Intervention
d’Olivier Jacquet le 12 janvier 2018.
Chaire
UNESCO "Culture et traditions du Vin" de l'Université de Bourgogne
Maison
des Sciences de l'Homme de Dijon
UMR
CNRS/uB Centre Georges Chevrier
De la fin du XIXe siècle à
la première moitié du XXe siècle, les vignobles français vont subir de
profondes mutations. Une transformation relativement importante des normes de
production et de commercialisation des vins va s’opérer, en particulier en
Bourgogne, en même temps qu’une émancipation – certes lente, mais inéluctable –
du rapport de dépendance des vignerons propriétaires vis-à-vis des négociants
en vins.
Au XIXe siècle, en effet, le
négoce domine complètement la production vitivinicole Bourguignonne. Il achète
raisins et moûts aux vignerons (propriétaires ou non), vinifie, élève et
commercialise l’ensemble des vins mis sur le marché. Or, à la faveur des
changements économiques touchant la filière durant le dernier tiers du XIXe
siècle (crise du phylloxéra, surproduction endémique, fraudes…), en raison
également de mutations politiques significatives telles que l’installation de
la III République, les vignerons tentent alors de s’affranchir de la tutelle de
ce négoce omniprésent. Un combat à la fois politique, juridique et commercial visant
à redéfinir les normes de production et de commercialisation des vins en faveur
des vignerons s’engage. Ces actions aboutissent, dès le 6 mai 1919, au vote de
la loi sur les Appellations d’Origine, texte remplacé le 31 juillet 1935 par le
décret-loi de création des Appellations d’Origine Contrôlées (AOC). S’emparant
de ces nouveaux droits, les vignerons syndiqués tentent alors, par voie
judiciaire, puis administrative (en lien avec l’Institut National des
Appellations d’Origine), et enfin par une promotion acharnée et parfois très
originale, à imposer auprès des consommateurs ce nouveau système qui fait la
part belle aux vins de terroirs.
Les défenseurs des
appellations d’origine cherchent en effet, à produire un nouveau discours
tendant à valoriser le rapport du vin au lieu. Après la seconde Guerre
Mondiale, face à la "mévente" des vins d'appellation et en raison des
difficultés rencontrées lors de délimitations « délicates » comme
celle du Beaujolais posent pour la première fois la question de la typicité des
productions à réguler. Il s’agit ainsi, pour l’INAO, d’inventer des modes
d’appréciation des vins capable de juger « objectivement » rapport
intrinsèque au lieu qui les produit. L’institution s’appuie dès lors sur
un ensemble des réseaux efficients de producteurs, de prescripteurs et de
scientifique capables de promouvoir de nouveaux modes de dégustation basés, en
particulier, sur le nez du vin. En quelques dizaines d’année, la dégustation
s’impose comme un élément essentiel dans la définition des normes de production
et de commercialisation des vins d’AOC, l’obligation de l’agrément des vins en 1974
fixant par exemple ce changement.
Durant les années 1970-1980,
ces modes de dégustation et d’appréciation des vins d’AOC se diffusent, ancrant
l’idée auprès des consommateurs qu’un vin issus d’un lieu spécifique
développe un goût tout aussi spécifique. C’est ainsi qu’en quelques dizaines
d’années, l’expression initialement péjorative de « goût de terroir »
va pouvoir qualifier, au tournant des années 1970, non plus des boissons
« rustiques et paysannes » « au goût terreux », mais des
produits d’excellence à la renommée internationale.
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