Article écrit par
Serge Buj, professeur de civilisation espagnole à l'université de Rouen,
membre de la Société des Amis de Jean Louis Flandrin. Vous pouvez
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OUBAHLI Mohamed, La main et le pétrin, alimentation céréalière et pratiques culinaires en Occident musulman au Moyen-âge, Casablanca, Fondation du Roi Abdul-Aziz, 2012, 590 pp., 160dh.
OUBAHLI Mohamed, La main et le pétrin, alimentation céréalière et pratiques culinaires en Occident musulman au Moyen-âge, Casablanca, Fondation du Roi Abdul-Aziz, 2012, 590 pp., 160dh.
La Société des Amis de Jean-Louis Flandrin, De Honesta Voluptate, compte des «historiques». Mohamed Oubahli est l'un d'eux. Homme de culture, passionné par l'histoire et l'anthropologie, étudiant et disciple de l'historien de l'alimentation, il n'a eu de cesse au cours de ces vingt dernières années de mener, dans des conditions quelquefois difficiles, des recherches patientes sur l'alimentation au Maghreb, espace culturel foisonnant d'échanges, de transferts de savoirs et de pratiques. Les amis de Jean-Louis Flandrin sont particulièrement heureux de pouvoir enfin avoir entre les mains l'ouvrage qui nous livre la quintessence même de ses travaux. Cet ouvrage vient d'être publié au Maroc par la Fondation du Roi Abdul-Aziz sous le titre La main et le pétrin, alimentation céréalière et pratiques culinaires en Occident musulman au Moyen-âge. Il s'agit d'un livre imposant de 590 pages dont l'objet essentiel est d'examiner la fabrication, les formes et l'usage du pain dans les sociétés médiévales de cette partie du monde dans laquelle l'Espagne musulmane tient une place importante.
Farines, pains, galettes, couscous, pâtes, toutes ces formes de transformation de la farine sont passées en revue, avec comme objectif de décrire «l'alimentation céréalière et les formes techniques qui s'y rattachent» et de «préciser la place de ces formes et techniques dans le repas et la définition du style culinaire» (Oubahli, 17).
Autre indication de poids qui justifie le choix des céréales: «Lorsque les musulmans de l'Occident (Maghreb et Espagne musulmane) se mettent à table c'est d'abord pour consommer un mets a base de céréales.» (Oubahli, 36).
Cet ouvrage propose une recension des sources étudiées tout à fait exceptionnelle, très variées: les livres de cuisine (peu nombreux pour la période antérieure au XIIIè siècle, de successives éditions de Kitab a-tabikh, souvent anonymes), les livres de pharmacopée, les Nawāzil-s, textes à caractère jurisprudentiel réglementant les usages marchands -poids, mesures, prix, etc.- et les livres de voyages. L'auteur propose aussi de solides références en matière de sources secondaires nous donnant une image assez précise de l'état des travaux dans le domaine de l'alimentation maghrebo-andalouse.
Chacun trouvera dans cet ouvrage édité avec un remarquable soin typographique, des enseignements extrêmement précieux sur les usages, leurs transformations et les raisons de l'abandon de telle ou telle forme ou pratique. S'il est clair, par exemple, que les fidawsh entrent encore dans la confection de mets contemporains espagnols (les fideos que l'on ajoute aux potages ou dans les plats à la mode ressurgis ces dernières années à Valence - la fideuà-) on se demandera pourquoi le couscous (c'est-à-dire la semoule de blé) est absent des traditions culinaires espagnoles. La réponse est politique: Mohammed en esquisse le contour en évoquant les traités :
«... manger un couscous [pouvait] apparaître come un acte vil, voire hérétique, et conduire par conséquent devant le Tribunal de l'Inquisition.» ( Oubahli, 15)
Ces réflexions sur le phénomène d'acculturation religieuse par l'imposition du rite (interdiction ou obligation) ne sont pas les seules ni forcément les plus nouvelles mais elles sont abordées du point de vue de l'histoire alimentaire et non selon l'optique classique, en renouvelant ainsi les termes de l'approche. La partie la plus nouvelle est celle qui tente de traiter des techniques et des modes de cuisson (voir en particulier le chapitre IV «Du pain et du feu…»).
Les ouvertures que Mohamed Oubahli nous propose sur ces questions, son érudition et l'appel fait à des sources extrêmement diverses donnent à son ouvrage une dimension peu commune, une approche concrète des techniques, des outils, des métiers, une approche comparée des usages et de la consommation de produits panifiés depuis le Moyen-Orient jusqu'à l'Espagne musulmane. Passionnant.
On pourra aussi consulter avec avantage les numéros 55 et 59 de la revue Horizons Maghrébins, dont le second a été édité sous la direction de Mohamed Oubahli, deux numéros consacrés aux nourritures du Maghreb (sous le titre général, «Manger au Maghreb»).
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