Extrait du Le Monde Magazine, du 10
décembre 2015.
Pour lire l’article d’origine signé Camille
Labro, cliquez
ici.
Cette historienne de la gastronomie également
auteure de polars évoque dans ses romans des recettes comme celle de cet
étonnant canard, élaborée au XVIIe siècle par le cuisinier Pierre de Lune et
servie à la cour de louis XIV.
L’une des personnes qui a le plus marqué mes études et ma vie est l’historien Jean-Louis Flandrin, qui fut mon professeur dans les années 1970. C’est lui qui, le premier, s’est intéressé à ce que les gens avaient dans leur assiette d’un point de vue historique. D’emblée, j’ai trouvé cela passionnant, car, si l’on s’interroge sur ce que les gens mangent, on se rapproche terriblement de la réalité de l’époque.
Flandrin aimait se plonger dans de très vieux livres de cuisine, les explorer sous tous les angles – sociologiques, anthropologiques. Pour lui, la mise en pratique était obligatoire : tout historien de l’alimentation doit tôt ou tard passer aux fourneaux ! De toute façon, quand on a un livre de recettes anciennes entre les mains, la curiosité est telle qu’on finit forcément par s’y mettre.Après une carrière dans l’écologie et l’humanitaire, je suis retournée voir Flandrin et j’ai renoué avec mes passions premières. J’ai réalisé une série documentaire sur l’histoire de la cuisine, une façon moins intimidante et plus attirante d’accéder à la grande Histoire. Parce que j’adore le roman noir, et pour toucher le public le plus large possible, j’ai ensuite écrit une série policière historico-culinaire. La première intrigue se déroule au Moyen Age et le dernier volet en date (le huitième) se passe à Lyon, chez La Mère Brazier, dans les années 1930.
“En cuisant, il dégage une délicieuse odeur de pain
d’épices. Il faut beaucoup l’arroser, de sorte que, à la fin, c’est presque un
canard laqué.”
J’aime redonner vie aux cuisiniers anciens et à leurs créations, qui ont
modelé notre goût. Chaque ouvrage contient une série de recettes d’époque. Le
canard à la sauce douce figure dans Meurtres au potager du Roy (2010).
Cette recette du cuisinier Pierre de Lune, servie à la cour de Louis XIV,
engendre une violente dispute entre les maîtres queux : « chose immonde »,
« galimafrée des temps anciens », s’insurge l’un ; « vraie merveille [...]
aux délicieux effluves de pistache et de cannelle qui font danser les goûts »,
rétorque l’autre. Un affrontement très symbolique de cette période, où les
cuisiniers vont abondonner les épices et le sucré-salé aux influences
arabo-andalouses pour une « nouvelle cuisine » moins exotique, plus beurrée et
plus potagère. La première fois que j’ai goûté ce canard, c’est à l’un des
banquets de fin d’année qu’organisait Flandrin avec ses étudiants, où l’on
ressuscitait des recettes anciennes.Le canard à la sauce douce m’a enchantée. En cuisant, il dégage une délicieuse odeur de pain d’épices. Il faut beaucoup l’arroser, de sorte que, à la fin, c’est presque un canard laqué. A la dégustation, toutes les saveurs s’allient divinement : le gras est ravivé par l’acidité du citron, la pistache donne du moelleux, la datte ajoute la pointe sucrée, la cannelle met une touche d’humour... Au fil des ans, je me suis ainsi constitué un petit répertoire de recettes magiques. Mais celle-ci est la plus envoûtante de toutes. Elle est devenue célèbre dans mon cercle d’amis, qui me la réclament sans cesse. Car c’est un canard qui détend l’atmosphère, qui dégage quelque chose de confortable et de doux. Un canard qui rend heureux.
A lire : « Innocent breuvage », JC Lattès, 18 €. « La France à table », Les Arènes, 34,80 €.
LA RECETTE
Ingrédients (pour 4 à 5 personnes) : 1 canette de 2 kg, 100 g de pistaches crues, 150 g de dattes, 1 petit citron confit, 1/2 l de vin blanc, 1/2 l d’eau, 2 citrons verts, cannelle en poudre, sel, poivre ; aiguille et fil de cuisson.A l’aide de ciseaux, inciser la peau du canard dans le dos sur toute sa longueur. Avec un petit couteau aiguisé, lever les filets (vous pouvez aussi demander à votre boucher de réaliser ces deux opérations), puis les couper en petits morceaux.
Dans une jatte, les mélanger avec les dattes hachées, les pistaches concassées finement (au mortier ou au mixeur), le citron confit haché, 1 c. à c. de cannelle, sel et poivre.
Reformer les filets avec cette farce et introduire le reste de la farce dans la carcasse. Recoudre soigneusement le canard.
Préchauffer le four à 180 °C.
Mélanger le jus des citrons verts, l’eau, le vin et 1 c. à c. de cannelle.
Faire cuire le canard au four pendant 1 h 30 en arrosant toutes les 10 minutes de ce mélange.
Servir le canard avec sa sauce, en ajoutant éventuellement un trait de citron vert.
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