mercredi 17 janvier 2018

Le triomphe des vins de terroir au XXe siècle. Histoire de la construction et de le promotion des AOC en Bourgogne



Intervention d’Olivier Jacquet le 12 janvier 2018.
Chaire UNESCO "Culture et traditions du Vin" de l'Université de Bourgogne
Maison des Sciences de l'Homme de Dijon
UMR CNRS/uB Centre Georges Chevrier

De la fin du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle, les vignobles français vont subir de profondes mutations. Une transformation relativement importante des normes de production et de commercialisation des vins va s’opérer, en particulier en Bourgogne, en même temps qu’une émancipation – certes lente, mais inéluctable – du rapport de dépendance des vignerons propriétaires vis-à-vis des négociants en vins.
Au XIXe siècle, en effet, le négoce domine complètement la production vitivinicole Bourguignonne. Il achète raisins et moûts aux vignerons (propriétaires ou non), vinifie, élève et commercialise l’ensemble des vins mis sur le marché. Or, à la faveur des changements économiques touchant la filière durant le dernier tiers du XIXe siècle (crise du phylloxéra, surproduction endémique, fraudes…), en raison également de mutations politiques significatives telles que l’installation de la III République, les vignerons tentent alors de s’affranchir de la tutelle de ce négoce omniprésent. Un combat à la fois politique, juridique et commercial visant à redéfinir les normes de production et de commercialisation des vins en faveur des vignerons s’engage. Ces actions aboutissent, dès le 6 mai 1919, au vote de la loi sur les Appellations d’Origine, texte remplacé le 31 juillet 1935 par le décret-loi de création des Appellations d’Origine Contrôlées (AOC). S’emparant de ces nouveaux droits, les vignerons syndiqués tentent alors, par voie judiciaire, puis administrative (en lien avec l’Institut National des Appellations d’Origine), et enfin par une promotion acharnée et parfois très originale, à imposer auprès des consommateurs ce nouveau système qui fait la part belle aux vins de terroirs.

Les défenseurs des appellations d’origine cherchent en effet, à produire un nouveau discours tendant à valoriser le rapport du vin au lieu. Après la seconde Guerre Mondiale, face à la "mévente" des vins d'appellation et en raison des difficultés rencontrées lors de délimitations « délicates » comme celle du Beaujolais posent pour la première fois la question de la typicité des productions à réguler. Il s’agit ainsi, pour l’INAO, d’inventer des modes d’appréciation des vins capable de juger « objectivement » rapport intrinsèque au lieu qui les produit. L’institution  s’appuie dès lors sur un ensemble des réseaux efficients de producteurs, de prescripteurs et de scientifique capables de promouvoir de nouveaux modes de dégustation basés, en particulier, sur le nez du vin. En quelques dizaines d’année, la dégustation s’impose comme un élément essentiel dans la définition des normes de production et de commercialisation des vins d’AOC, l’obligation de l’agrément des vins en 1974 fixant par exemple ce changement.
Durant les années 1970-1980, ces modes de dégustation et d’appréciation des vins d’AOC se diffusent, ancrant l’idée  auprès des consommateurs qu’un vin issus d’un lieu spécifique développe un goût tout aussi spécifique. C’est ainsi qu’en quelques dizaines d’années, l’expression initialement péjorative de « goût de terroir » va pouvoir qualifier, au tournant des années 1970, non plus des boissons « rustiques et paysannes » « au goût terreux », mais des produits d’excellence à la renommée internationale.

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