mardi 28 février 2017

André Guillot, cuisinier de maison bourgeoise, précurseur de la Nouvelle Cuisine.



Intervention de Matthieu Aussudre (Chercheur indépendant en histoire contemporaine)

André Guillot est un cas singulier dans l’histoire de la haute cuisine française. Formé à l’école des maisons bourgeoises, chef propriétaire dans les années 1950, coqueluche de Gault-Millau et considéré comme un précurseur de la Nouvelle Cuisine aujourd’hui, sa carrière professionnelle est un véritable témoignage sur l’évolution de notre haute cuisine au XXe siècle.
 C’est en octobre 1924, à l’âge de 16 ans, qu’il entre dans les cuisines de l’ambassade d’Italie à Paris comme apprenti-cuisinier, après un apprentissage chez un traiteur à Chantilly. Cette entrée dans la corporation des cuisiniers de maisons bourgeoises va lui donner accès à un grand nombre de maisons prestigieuses où il va parfaire sa formation, dont celle de l’écrivain surréaliste Raymond Roussel ou encore chez la Marquise de Polignac. Entre 1928 et 1932, il s’engage volontairement dans la Marine Nationale. Lors d’une campagne dans l’océan indien, Guillot est réquisitionné pour mater une mutinerie de punis. Il y reçoit un coup de gourdin dans le ventre qui provoque une lésion importante des intestins. Dès lors, il ne pourra plus jamais se nourrir comme avant.
 En 1952, il achète l'Auberge du Vieux Marly à Marly-le-Roi dans les Yvelines afin d'être propriétaire et il va y rencontrer un grand succès critique au milieu des années 1960. Usé par le métier, il fermera le restaurant en 1972, un avant le lancement médiatique de la « Nouvelle Cuisine Française » par Gault-Millau. Un mouvement de rupture, qui met en avant une cuisine légère, plus simple, plus libre, plus en adéquation avec son époque. Mais à la lumière de nombreux témoignages et à la lecture de ses deux livres (La Grande Cuisine Bourgeoise et La Vraie Cuisine Légère), il semble qu'André Guillot ait été précurseur sur de nombreux sujets, notamment dans l'allégement de la cuisine. Ne pouvant plus se nourrir normalement, Guillot a mis au point de nouveaux principes de liaison des sauces, a prôné une autre alimentation en jetant tous les symboles de la cuisine de l'après-guerre tels que la sauce espagnole, les sauces collées et le vol-au-vent et ce presque vingt ans avant que Guérard, Troisgros, Senderens et Chapel fassent de même.

mardi 14 février 2017

Le personnage du cuisinier dans les textes espagnols du Siècle d'Or



Intervention de Nathalie Peyrebonne

 À partir de la fin du Moyen Âge, l’Espagne, comme ses voisins européens, va accorder un statut renouvelé au cuisinier, personnage œuvrant en coulisse, associé au sang, au sale, aux entrailles malodorantes, jusqu’alors peu estimé socialement, voire peu recommandable. Certes, les textes publiés en Espagne aux XVIe et XVIIe siècle s’appuient encore largement sur toute une série de représentations héritées de l’époque qui précède et bon nombre de moralistes voient les cuisiniers comme des agents de perversion morale, qui participent à cette inflation du luxe, des frais de représentation qui font de la société de l’époque, selon eux, une société malade. Mais les cuisiniers, qui signent les premiers livres de cuisine, sont peu à peu intégrés à ces nouvelles sociabilités qui elles-mêmes se trouvent au centre des réflexions visant à définir ce que peut alors être un courtisan, figure d’homme idéal en construction. La cuisine fait la table, et la table est devenue une scène incomparable où l’homme va pouvoir manger mais aussi converser, rire, se mouvoir, en un mot, exister, un noyau de sociabilité dont les enjeux dépassent très largement l’ingestion alimentaire.