Résumé de l’intervention
de Georges Carantino, historien et ethnologue de l’alimentation, le 16 mars
2018.
Notre époque
semble entretenir un rapport ambigu avec le gras provenant des animaux alors
que le discours ambiant vante les mérites d’huile végétales comme celle de
l’olive, de la noix… Alors qu’elle met en avant, dans une consommation très
élitiste et festive, une viande de bœuf comme de porc riche d’un gras
prometteur de saveurs et d’odeurs plaisantes pour le mangeur, elle développe
des attitudes lipophobes quant aux graisses traditionnellement consommées, les
lards, saindoux, graisses d’oie ou de rognon… mais aussi rillons, rillettes et
autres préparations charcutières qui faisaient les délices des repas festifs
populaires tant il est vrai qu’il n’y avait pas de fêtes sans gras, comme sans
sucre, dans la société traditionnelle. Toute une culture du gras animal, faite
de modes d’élevage, de techniques de fabrication, de conservation, de mise en
œuvre dans la cuisine et de formes de consommation constituant autant un
patrimoine matériel qu’immatériel, est ainsi menacée. Un collectage et une
étude de ces pratiques semblent donc nécessaires dans une perspective de
patrimonialisation comme de transmission pour les garder vivantes dans une
société qui ne connait plus cette soif d’un gras qui était autant rêve des
pauvres que signe de richesse et assurance d’un hédonisme gastronomique balayé
aujourd’hui par le discours diététique ambiant.
Le gras animal a
été longtemps une matière première pour bien d’autres choses que l’alimentation :
éclairage, traitement des cuirs, graissage des machines, saponification…
L’arrivée des graisses issues du pétrole comme des graisses végétales
coloniales, huile de palme, coprah…, a changé la donne en diminuant la demande
de ces graisses animales et en baissant leur prix. Il faut évoquer la quête du
gras des poissons, entre chasse à la baleine dès le Moyen-Age pour récupérer
son lard consommé salé sous le nom de crapois et en extraire de l’huile, et
extraction de l’huile des harengs comme des foies de morue… Mais se sont
principalement les mammifères d’élevage qui sont la source du gras qui nous
occupe, entre le gras de sécrétion qu’est la crème qui permet la fabrication du
beurre et les graisses anatomiques, persillé des muscles, marbrures entre
faisceaux musculaires, graisses de couverture et graisses fines qui entourent
les rognons. L’utilisation de ces graisses comme fond de cuisson interroge leur
relation avec les huiles végétales et a fait l’objet d’enquêtes ethnographiques
qui cartographient l’usage des beurre, saindoux, graisse d’oie, huile
d’olives…, témoignages de pratiques anciennes. Toute une culture de la
récupération du gras animal libéré par la cuisson, dans la lèchefrite lors du
rôtissage ou par dégraissage des bouillons, et de son réemploi dans la cuisine
disparait progressivement. Il en est ainsi des savoir- faire liés aux
traitements du lard après l’abattage du porc, de la levée de la panne au salage
du lard gras, de sa fonte pour la fabrication du saindoux à l’obtention et
l’utilisation des grattons… Reste comme consolation pour le cuisinier le rôle
du gras animal pour la protection des viandes à rôtir en empêchant qu’elles ne
se dessèchent, grâce au lardage, à l’utilisation de la barde, de la crépine, à
l’arrosage par la graisse de la lèchefrite ou par l’utilisation du flamboir.
Pour mieux
cerner cette culture du gras animal, l’historien doit savoir sortir des
archives, interroger les livres autant d’agronomie et d’élevage que de cuisine
ou de charcuterie, mais aussi analyser les images, peintures, photographies….
Il doit savoir regarder et interroger les objets du quotidien, outils de la
pratique. Il doit savoir se faire ethnographe et aller questionner les
différents acteurs qui sont encore porteurs de cette culture. Il doit savoir
pratiquer une démarche d’archéologie expérimentale qui lui permettra, par le
faire, de mieux saisir les techniques traditionnelles liées au recueil, au
traitement du gras des animaux et à son utilisation. Collecter, analyser,
expérimenter, conserver et transmettre, autant de piliers pour la
patrimonialisation et la renaissance d’une culture passionnante !
Pour en savoir
plus :
CARANTINO,
Georges, Un regard sur le gras animal,
entre anthropologie et histoire, Ethnozootechnie,
n°99, 2015.
CARANTINO,
Georges, Du cochon et du gland, une
histoire de goût, Ethnozootechnie,
n°100, 2016