vendredi 12 juillet 2013

L’art de la découpe à la fin du Moyen Âge (Espagne-Italie)



Conférence d’Olivia Parizot (Univ. Versailles St Quentin en Yvelines)

Le19 avril 2013, dans le cadre du programme des rencontres de l’honnête volupté.

Abstract rédigé par l’auteur.


Chargé de découper les aliments à la table du roi, l’écuyer tranchant est un acteur fondamental du repas à la cour. Détenteur d’un véritable savoir-faire technique, il exerce son art avec raffinement et s’inscrit parfaitement dans la mise en scène du banquet princier.  Vassal de son seigneur, l’écuyer tranchant lui doit service et fidélité. La fonction est donc plus importante qu’elle n’y paraît à première vue. Parce qu’il évolue autour de la table avec des instruments pouvant s’avérer dangereux, l’écuyer tranchant est nécessairement une personne de confiance choisi parmi les nobles de l’entourage princier.
A la fin du Moyen Âge, la multiplication des traités de découpe en Espagne et en Italie illustre l’intérêt porté à la fonction qui se professionnalise. Le traité le plus ancien est sans doute l’Arte Cisoria - titre apocryphe donné par le premier éditeur de l’œuvre au XVIIIe siècle, l’auteur ayant intitulé son ouvrage Arte de cortar ou Arte de trinchar - rédigé en 1423 par un noble castillan, Enrique de Villena[1]. En rédigeant ce traité en Castille l’auteur, qui a lui-même exercé les fonctions d’écuyer tranchant lors du banquet de couronnement de son cousin Ferdinand de Antequera en 1414, favorise ainsi la diffusion des usages aragonais dans le royaume castillan. Conçu comme un manuel d’éducation destiné au futur écuyer tranchant, l’ouvrage décrit avec précision les techniques de découpe à acquérir et la technicité des gestes à adopter. On y trouve également un chapitre détaillant l’usage de chaque instrument de découpe accompagné d’une illustration. Si deux autres ouvrages publiés en catalan au XVIe siècle – Le Libre de Sent Soví et le Libre de doctrina per a ben servir de tallar y del art de coch plus connu sous le nom de Libre del coch – présentent également des préceptes de découpe, il s’agit plutôt de livres de cuisine exposant des recettes que de véritables manuels de découpe. En Italie, la publication de traités de découpe aux XVe et XVIe siècles témoignent également de l’intérêt suscité par la fonction[2].
A la lecture de ces ouvrages, ce sont les pratiques culturelles et sociales de l’alimentation de cour qui nous sont dévoilées. En effet, l’importance dévolue à la découpe de la viande rappelle la place primordiale occupée par l’alimentation carnée lors des banquets. De plus, on peut discerner les qualités du courtisan à travers les bonnes manières de l’écuyer tranchant. Enfin, la gestuelle déployée par l’écuyer tranchant participe indéniablement à la mise en scène du repas, reflet du prestige et de la magnificence royale. Il est possible par ailleurs de distinguer des styles de découpe nationaux et des interférences culturelles entre l’Espagne et l’Italie. Si le style de découpe habituel se réalise dans le plat, il se complexifie dans l’Italie de la Renaissance pour s’effectuer désormais en hauteur.
Afin d’établir des correspondances entre les règles et la pratique, il est nécessaire d’analyser conjointement ces traités de découpe d’une part avec les ordonnances qui codifient l’organisation de l’hôtel royal, et d’autre part avec les archives comptables de la couronne d’Aragon et du royaume de Valence qui offrent de précieuses informations sur la personne de l’écuyer tranchant et sur les conditions d’exercice de la fonction.




[1] Villena Enrique de, Arte cisoria, édition et étude de Russell V. Brown, Barcelone, Editorial Humanitas, 1984
[2] Notamment le Taiare de cortello (1466) de Michele Chalefino ; le Refugio de povero gentilhuomo (1520) de Francesco Colle, ouvrage dédié au duc de Ferrare et le Trinciante (1581) de Vincenzo Cervio, écuyer tranchant du cardinal Alessandro Farnese.